1. Se laisser rejoindre et vouloir rejoindre
Dieu veut rejoindre le cœur de l’homme. Après l’échec de son plan originel sur l’homme et la femme, Dieu aurait pu tout abandonner et nous laisser livrés à notre triste sort, ou bien tout effacer et tout recommencer… Après tout, Dieu n’a besoin de rien pour être ce qu’il est : la création ne lui est pas nécessaire, et il est déjà relation d’amour permanente Père-Fils-Esprit Saint, une relation qui le comble totalement. Mais non… Dieu décide de partir à la recherche du cœur égaré de l’homme.
- En se choisissant un peuple, en lui faisant le don d’une Loi, qui elle-même scelle une alliance entre les hommes et Lui.
- Puis, en se faisant connaître d’une manière totale et définitive par la venue en notre chair de son Fils et en accomplissant par Lui son œuvre de rédemption par la mort et la résurrection du Christ.
Et voilà son projet réalisé ! Par la victoire du Christ sur la mort, l’homme et la femme sont sauvés de la mort, sanction du péché originel, et rétablis dans une communion de vie avec Dieu. Enfin, presque…
Il reste pour l’homme et la femme à accepter cette rédemption. Certes, Dieu a tout accompli par le Mystère Pascal du Christ, mais il reste à l’accueillir. Dieu nous veut pour toujours auprès de Lui, dans une communion de vie, mais le voulons-nous ? Accueillons-nous ce salut ?
Et c’est là toute la raison d’être de la mission de l’Église. D’un point de vue personnel : se laisser évangéliser par l’Église pour recevoir le salut de Dieu et en vivre : c’est notre vie de disciple du Christ. Et d’un point de vue communautaire, du fait de notre solidarité de destinée avec tous les hommes, aller annoncer ce salut au plus grand nombre : c’est notre vie de missionnaire. Le projet de Dieu n’atteint son objectif que dans cette double dimension :
- Etre disciple du Christ, c’est à dire accueillir le salut pour moi-même, me laisser enseigner, éclairer et conduire par Lui, par mon écoute assidue de la Parole de Dieu, ma fidélité à la prière personnelle, à l’oraison quotidienne, et par l’expérience régulière de la grâce reçue dans les sacrements, la Réconciliation et l’Eucharistie.
- Et être missionnaire du Christ, c’est à dire annoncer ce salut aux autres comme Il nous y invite instamment : de même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie (Jn 20,21). Parce que « la Vérité qui sauve la vie et qui enflamme le cœur, pousse la liberté à redonner ce que l’on a reçu gratuitement ». Oui, « il n’y a rien de plus beau que d’être rejoint par le Christ, surpris par l’Évangile. Il n’y a rien de plus beau que de Le connaître et de communiquer aux autres l’amitié avec Lui ».
Le projet de Dieu n’atteint son objectif que si je suis disciple-missionnaire, expression chère à notre pape François, et qui doit conduire et éclairer notre mission de catéchiste auprès des enfants.
2. Sur le chemin d’Emmaüs
Le 27 juillet 2013, le pape François faisait auprès des évêques brésiliens une relecture du récit des pèlerins d’Emmaüs dans l’évangile de saint Luc (24,13-33) qui éclaire admirablement cette double dimension de notre mission de catéchiste : se laisser rejoindre et rejoindre.
Dans ce récit, nous voyons deux disciples, l’âme troublée, quitter Jérusalem le soir de la résurrection. Le texte dit bien qu’il s’agit de « disciples ». Ils ont donc suivi le Christ durant son ministère public. Ils ont entendu ses paroles de grâce et ils ont vu ses actions merveilleuses. Mais tout s’est arrêté. Jésus a été condamné, torturé, mis à mort et enterré. Quel échec ! Quelle désillusion ! On avait tant espéré en Lui…
Notre âme de catéchiste aussi peut être troublée par le désenchantement, le découragement… Nous avons beaucoup travaillé, nous nous sommes beaucoup donnés… Nous nous sommes adaptés aux besoins des parents en créant d’autres créneaux de catéchèse. Nous avons bousculé nos vies familiales ou professionnelles pour nous rendre davantage disponibles. Nous sommes passés à une nouvelle méthode. Nous nous sommes formés… Et (à vue humaine en tout cas) nous avons parfois un goût amer d’échec.
- Où sont passés tous ces enfants de la Première Communion de l’année dernière ? Et ces nouveaux baptisés ? Et ces jeunes parents avec qui nous avions sympathisé ?
- Comment les rejoindre à nouveau et les accompagner pour les décider à revenir à Jérusalem, figure de l’Église ?
Mais Jésus est là, au cœur de nos troubles. « Tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Jésus leur dit : De quoi discutez-vous en marchant ? » Jésus rejoint les disciples dans leur nuit, dans leurs doutes, dans leurs déceptions. Non seulement il les rejoint, mais il s’intéresse à ce qui occupe leur âme : « De quoi discutez-vous ? »
- Cela veut dire tout d’abord que nous devons nous laisser rejoindre par le Christ au cœur des difficultés de notre mission de catéchiste.
- Cela veut dire ensuite que nous devons pouvoir rejoindre les personnes que nous rencontrons de par notre mission de catéchiste (les enfants et leurs parents) au cœur de tous les troubles qui agitent leurs vies. Nous devons être capables d’entendre leurs déceptions, leurs soucis, leurs doutes. Nous devons pouvoir nous insérer dans leurs conversations. De quoi parlent entre eux ceux qui s’éloignent de l’Église ? Enfin, au cœur de ces conversations, nous devons introduire le Christ.
Alors, Jésus vient parler directement à notre cœur. « Jésus leur dit alors : "Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ?" Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait. » Bien au-delà de ce que nous comprenons et faisons comprendre aux enfants dans la catéchèse, le Christ, par son Esprit Saint, vient éclairer et soulever nos vies au-dessus de tout ce qui nous arrive de difficile, d’éprouvant, de triste… C’est pourquoi, nous devons déposer nos enfants du catéchisme et leurs parents dans notre prière d’intercession, si possible quotidiennement, en demandant à l’Esprit Saint d’opérer directement dans leurs âmes.
Puis, le Christ nous attire à l’Eucharistie. « Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent. » C’est dans l’Eucharistie que Jésus se fait reconnaître. C’est là qu’il apparaît le plus présent à notre vie, à nos troubles, à nos souffrances. C’est pourquoi, notre catéchèse doit absolument faire le lien avec l’Eucharistie. La messe n’est pas d’abord un devoir du chrétien, elle est une nécessité vitale pour faire l’expérience de Celui qui donne sa vie pour nous et qui nous prend avec Lui dans son offrande au Père.
Enfin, Jésus nous attire à l’Église. « À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons. » Pour nous, Jérusalem, c’est l’Église en laquelle sont toutes nos sources : la Parole de Dieu, la catéchèse, les sacrements, la Communauté avec Marie et les Apôtres. C’est pourquoi, nous devons faire aimer l’Église comme notre Mère, celle qui nous donne tout ce dont nous avons besoin parce que nous sommes trop petits, trop faibles, pour vivre par nous-mêmes, une Mère toujours à nos côtés qui nous soutient face aux épreuves de la vie.
3. « Ce que je fais en toi ne relève pas de ton habilité, mais de ma grâce »
Nous connaissons certainement beaucoup de choses sur saint François d’Assise : sa vie de jeune homme riche, sa rencontre avec le Christ à San Damiano, son choix de vie radical à la suite du Christ, son charisme qui, très vite, a attiré à lui de nombreux frères, et toutes les fioretti de sa vie… Mais il y a une partie de sa vie que nous connaissons moins, c’est lorsque ses propres frères commencent à se diviser à son sujet… Certains d’entre eux (bien intentionnés) ont des projets d’installation et d’institutionnalisation de la nouvelle communauté, pour assurer sa pérennité et devenir un Ordre religieux puissant. D’autres souhaitent rester fidèles au charisme de pauvreté et de simplicité évangéliques de François. Et tout ça se dispute, se critique et s’excite…
Le livre d’Eloi Leclerc intitulé Sagesse d’un pauvre décrit tout particulièrement cette période de la vie de saint François. François s’est retiré dans un ermitage. Sa prière est douloureuse en songeant à ce qu’est devenue sa communauté… Et voici ce que Dieu lui répond (ce n’est pas historique, c’est Eloi Leclerc qui imagine ce dialogue entre François et Dieu) :
« Est-ce parce que je t’ai établi pasteur sur mon troupeau que tu dois oublier que je suis le berger. Je t’ai choisi exprès, homme simple, pour qu’il soit manifeste aux yeux de tous que ce que je fais en toi ne relève pas de ton habilité, mais de ma grâce. C’est moi qui ai appelé, c’est moi qui garde le troupeau et le fais paître. Je suis le Seigneur et le Berger. »
Il est bon, dans notre mission de catéchiste, d’entendre ces paroles pour nous-mêmes. Nous ne sommes pas là parce que nous serions des sages, des docteurs, des cultivés, des orateurs… Nous sommes là pour rendre évident que notre mission d’évangélisation auprès des enfants (et de leurs parents) ne vient pas d’un quelconque mérite humain mais qu’elle vienne de la seule puissance de la Vérité incarnée en Jésus-Christ. Nous sommes là pour rendre évident que la mission ne relève pas de notre habileté, mais de la grâce de Dieu.
Alors, si devant une telle mission nous ne nous sentons pas capables, tant mieux ! Mais allons-y tout de même ! Il le faut ! Pauvrement, humblement, confiants en la grâce de Dieu qui œuvre en nous. Si nous faisons notre petite part, Dieu fera la sienne assurément.
« Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera » (Jn 15,16).