Si ce passage ne parle pas directement du sacrement de réconciliation, il en exprime le cœur : la rencontre avec Jésus-Christ. « Quelle bonne nouvelle que la réconciliation ! s’exclame en effet le Père Bandelier dans son livre consacré à ce merveilleux sacrement, Quelle chance, quelle libération, quelle espérance ! Comment cette expérience du salut redonné a-t-elle pu peu à peu s’estomper, au point de devenir au contraire une mauvaise nouvelle, une corvée ? (…) C’est le sacrement de l’avenir, puisque c’est là que les portes les plus verrouillés peuvent s’ouvrir, et que les blessures les plus infectées peuvent guérir. Il y a tant de cœurs fermés, et plus encore de cœurs blessés ! » (p. 45).
Le seul but de ce sacrement, comme des autres sacrements d’ailleurs, est de nous unir à Dieu. Au IVe siècle, Saint Augustin a dû lutter avec acharnement contre le pélagisme, selon lequel l’homme se sauve lui-même, à coup d’efforts et de sacrifices. Or, cette hérésie peut être encore très présente en nous ! Dans l’Eglise, tout est grâce. Toute la mystique chrétienne consiste à se laisser faire. Pour gagner le Christ, il suffit d’une chose : se laisser conquérir… Le sacrement célébré rend justement présent que le Salut je ne peux pas me le donner moi-même, je peux uniquement le recevoir (cf. pp. 59-60).
Et pourtant, on le sait trop bien, le sacrement de réconciliation est en crise. D’abord, car la figure du père est en crise. « Moi, je fais ce que veux » : « affirmation d’un narcissisme vertigineux, pour ne pas dire infernal (…) C’est pourtant ce qui se passe quand on ne conserve du sacrement de réconciliation que quelques bons sentiments et bonnes résolutions, et qu’on efface (plus ou moins) la rencontre avec le prêtre, l’aveu du péché, la conversion, c’est-à-dire la décision de conformer sa vie à la Parole d’un autre ». Ensuite, par ce genre de formules simplistes qu’on entend si souvent : « Dieu pardonne toujours », « Pourquoi dire mon péché ? Il le connait », « Je me confesse à Dieu directement » (p. 19), etc…
Mais le problème est avant tout une crise de la conversion : « Le pardon des péchés est mal compris et mal vécu, parce que le sens du péché s’est lui-même obscurci. Celui qui ne sait pas qu’il est en prison ne désire pas la libération. L’aveugle-né ne peut pas imaginer la lumière et ne peut donc la désirer. (…) Une communauté chrétienne où le péché ne peut plus se dire est en danger. Danger du silence sur l’essentiel, étant donné que l’essentiel n’est pas la parole sur le péché de l’homme, mais l’annonce de la miséricorde de Dieu. Danger d’immobilisme : là où il n’y a rien à commander, il n’y a rien à changer. Danger de stérilité, car la Parole est esprit et vie, à condition qu’on l’écoute » (p. 25). Le terme de péché est en effet devenu « théologiquement incorrect », on préfère ceux de faiblesses, pauvretés, imperfections, etc (p. 26)…
Se reconnaitre pécheur est donc un premier pas fondamental. Qui fait du péché un drame ? les saints ! « Quel paradoxe ! Pécheur que je suis, j’imagine que le Ciel est pour moi à portée de la main. Mais si j’étais un saint, je me verrais au bord de l’enfer ! » (p. 127).
Plus en amont encore, on se trouve face à une crise de l’annonce de la Parole de Dieu, de la Bonne Nouvelle de la venue du règne de Dieu et donc… nécessité, ou plutôt chance offerte, encore une fois, de se convertir. « La conversion, en hébreu, se dit le retour. Le point de départ de ce retournement, à la fois douloureux et bienheureux, est toujours un acte de mémoire. C’est l’appel qui est adressé à l’Eglise d’Ephèse, dans l’Apocalypse : J’ai contre toi que tu as abandonné ton premier amour. Allons ! Souviens-toi d’où tu es tombé, convertis-toi (…) (Ap. 2, 4-5) » (p. 123). Mais « la vraie nostalgie biblique, et la plus salutaire, est la mémoire de l’avenir. Dieu parle au futur. Sa parole est toujours une promesse » (p. 127). Quelle est cette promesse ? Que Dieu est amour, qu’Il veut vivre et œuvrer en nous.
Mais pour cela tout chrétien est confronté à un choix, à un combat, car choisir Dieu signifie renoncer au péché (« Vois : je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur » Dt.30, 15). « Dans la formule classique de l’acte de contrition, il est dit : »je prends la ferme résolution de ne plus pécher et de faire pénitence." Certains s’inquiètent : comment voulez-vous que je m’engage à ne plus pécher ? Je connais trop ma faiblesse ! En réalité, il ne s’agit pas de jurer qu’on ne péchera plus jamais, sinon on serait vite parjure. Il s’agit de prendre position clairement, c’est-à-dire de rejeter le péché et les occasions de péché (…).
Que de dons reçus en échange explique l’auteur ! La grâce propre et immédiate du sacrement de réconciliation est le pardon des péchés, la libération de ce poids qui pesait sur l’âme. (…) Mais on ne fait pas assez attention à une autre grâce qui accompagne l’absolution : une grâce de guérison intérieure. Elle est pourtant inscrite dans le texte même du rituel : « Par le ministère de l’Eglise, que Dieu vous donne le pardon et la paix ». Le pardon et la paix désignent deux réalités différentes. Le pardon porte sur la relation à autrui, il concerne le rapport de l’homme à Dieu et à ses frères. La paix touche la personne au-dedans d’elle-même." (pp. 151-152).
Beaucoup d’autres aspects sont abordés par cet excellent ouvrage du Père Bandelier, aspects parfois très concrets (faut-il se confesser souvent ? l’aveu ? la pénitence ? etc…). Bref un livre qui nous permettra de mieux vivre de cette gratuité du pardon de Dieu, comme l’exprime cette extraordinaire exclamation de la Nuit de Pâques : « Heureuse faute qui nous valut pareil Rédempteur ! » .