Nous avons choisi de vous présenter cinq nouveaux livres consacrés à la Miséricorde. Rien de mieux pour nous amener à Pâques. Car, le Carême ne peut être triste puisqu’il nous conduit à cette fête des fêtes. Pour vous aider dans votre choix (inutile surtout de tous les lire, ils leur arrivent de se recouper, ce qui va de soit), nous avons classé ces livres, non pas par ordre d’intérêt, mais par ordre de difficulté. Du plus facile au plus difficile. A part pour le premier, qui occupe une place toute spéciale : Le nom de Dieu est Miséricorde du Pape François.
Le nom de Dieu est Miséricorde, pape François, conversation avec Andrea Tornielli, ed. Robert Laffont et Presses de la Renaissance, 2016, 168 p., 15 €.
Superbe livre, très facile à lire, en cette année de bénédictions, loin de tout moralisme et de tout cléricalisme.
Ainsi, le pape nous invite-t-il à offrir à Dieu nos péchés comme autant de bijoux au Père, un Père qui ne se lasse jamais de pardonner (p.73). Quant à ceux qui ne n’en sont pas à regretter leurs péchés, puissent-ils déjà regretter ne pas regretter, car cette toute petite brèche permet à la grâce de s’engouffrer.
De fait, l’Eglise est cette tente médicale, une « structure mobile (…) où l’on pratique la médecine d’urgence » (p. 74), placée là, pour soigner les blesses en plein champ de bataille. Aussi doit-elle sortir, quitter ses sécurités ! Dieu se réjouit par dessus tout des coeurs brisés, de ceux qui ont honte de leurs péchés. Il est venu pour les pêcheurs, il ne se lasse jamais de pardonner, jamais. Attention seulement à la corruption, qui peut tous nous concerner. Car cette double vie, l’impie du premier Testament, l’hypocrisie que détestait Jésus, ferme toutes les portes à la miséricorde.
"Le corrompu ignore l’humilité, ne considère pas qu’il a besoin d’aide, et mène une double vie. (…) le corrompu se lasse de demander pardon et finit par croire qu’il ne doit plus le demander. (…) le corrompu, lui, cache ce qu’il considère comme son véritable trésor, ce qui le rend esclave, et il masque son vice sous un vernis de bonne éducation, faisant toujours en sorte de sauver les apparences. (…)
La corruption n’est pas une action, mais un état, un état personnel et social, dans lequel on prend l’habitude de vivre. Le corrompu est tellement enfermé dans sa suffisance, et satisfait de celle-ci, qu’il ne se laisse toucher par rien ni par personne. Il a construit une estime de soi basée sur des comportements frauduleux : il passe sa vie dans les chemins de traverse de l’opportunisme, au prix de sa propre dignité et de celle des autres. Le corrompu à toujours la tête de quelqu’un qui dit :« Ce n’est pas moi qui ai fait ça ! » (…)
Le corrompu est celui qui s’indigne parce qu’on lui a volé son portefeuille, et qui se plaint de l’insécurité dans les rues ; mais ensuite, il escroqué l’Etat en pratiquant l’évasion fiscale, ou bien il licencie ses employés tous les trois mois pour éviter de les embaucher en contrat à durée indéterminée, ou les exploite en travaillant au noir. Après quoi, il se vante de ses prouesses devant ses amis (…). Souvent, le corrompu ne se rend même pas compte de son état, de même que celui qui a mauvaise haleine l’ignore. Et il n’est pas facile pour le corrompu de se sortir de cet état grâce au remords. Généralement, le Seigneur le sauve à travers les grandes épreuves de la vie, des situations inévitables qui brisent la coquille qu’il s’est construite peu à peu, permettant ainsi à la grâce d’entrer.
Nous devons le répéter : pêcheur, oui, corrompu, non !" (pp.102-105).
Gare aussi au cléricalisme nous répète le Saint-Père, à ceux qui se croient autosuffisants, pour qui être chrétien signifie adhérer à des règles extérieures, ainsi s’approprient-ils les dons de Dieu et n’ont plus la grâce de « l’étonnement » (pp.73-74).
Bref, voici un lire à lire absolument, à offrir largement et à méditer régulièrement.
Voici un livre tout neuf, qui a l’avantage non seulement de se lire très facilement, mais aussi d’être très profond en allant droit à l’essentiel. L’auteur, membre de la fraternité de la Parole installée en Avignon, explique qu’il a consacré sa thèse à ce beau thème de la miséricorde. On comprend dès lors pourquoi il profite de cette année jubilaire pour publier cet ouvrage.
Puissions-nous en effet tous expérimenter la miséricorde de Dieu en cette année comme l’écrit si bien le père Thierry-François : « Mais l’important n’est pas d’étudier ou de parler de la miséricorde. L’important est de la vivre au jour le jour. Il est difficile, en particulier, de »faire miséricorde« aux personnes qui nous ont fait du mal. Le Christ, Lui, a vécu pleinement la miséricorde toute sa vie terrestre, jusqu’à dire sur la croix »Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils vont !« (Lc 23, 34). Ainsi il a pris le mal de l’homme, le péché de l’homme, comme si c’était le sien, lui qui était pourtant sans péché. Il l’a fait par Amour » (p. 10). Car, le christianisme est d’abord et avant tout « l’amour à l’ennemi » ne cesse de répéter l’auteur.
Amoureux des écritures, l’auteur s’y penche longuement et revient sur les passages clefs de la miséricorde. Il explique notamment à propos de deux paraboles : « Reste une question : pourquoi Luc semble raconter la même chose, mais sous deux formes différentes : une brebis perdue, une drachme perdue ? C’est pour nous faire comprendre que l’on peut se perdre à l’extérieur, comme la brebis, mais aussi à l’intérieur, comme la drachme qui est perdue dans la maison. En d’autres termes les deux paraboles explicitent la Parabole qui va suivre. L’enfant prodigue se perdra à l’extérieur de la maison paternelle, tandis que son frère aîné (image des pharisiens) est perdu à l’intérieur de lui-même (même s’il est resté dans la maison paternelle). Tous deux sont pécheurs ! » (p. 43).
L’auteur interroge aussi les philosophes et surtout Nietzche, dont il est bon de rappeler certains passages qui font froid dans le dos : « Quant aux débiles, aux malvenus, qu’ils périssent :premier principe de notre charité. Et qu’on les aide enfin à périr. Qu’est-ce qui est pernicieux que n’importe quel vice ? La compassion active pour tous les débiles et tous les malvenus - le christianisme (…) » Nietzche (L’Antechrist, cité p. 100)
La miséricorde doit donc être absolument bannie de ce monde proclamera le philosophe allemand avant de mourir fou. Hitler le mettra en pratique, mais notre monde n’en est pas exempt avec l’avortement, l’euthanasie, l’eugénisme et bientôt le transhumanisme pour développer un surhomme sans pitié.
Concernant le dialogue inter religieux (thème récurrents à presque tous ces livres), le père Thierry-François n’hésite pas à écrire que malgré tout la miséricorde reste le « privilège du christianisme » (p. 114).
Bref, voici un petit livre facile à lire à faire connaître et à lire !
Un autre amoureux de la Parole, mais avec une présentation plus exégètique : Pierre Gibert a publié un livre sur la miséricorde dans la collection Ce que dit la Bible sur… La miséricorde, Ed. Nouvelle Cité, 2015, 124 p.,13 €.
La présentation du thème à travers la Bible est facilitée par un mode de questions/réponses. Retracer l’histoire du salut est toujours passionnant et nous invite à la reconnaissance envers notre Dieu qui n’a pas eu peur de se plonger dans notre péché pour faire à tous miséricorde. Une miséricorde infinie que le peuple élu a mis du temps à reconnaître, il a du d’abord, et souvent, en faire l’expérience dans sa propre chair. « …la miséricorde est aussi une affaire de temps » (p. 40).
Évidemment, comme beaucoup d’autres, le père jésuite Pierre Gibert revient sur les différents termes employés dans la Bible que nous traduisons trop légèrement par « miséricorde ». On lira aussi avec un intérêt tout spécial la comparaison entre la trahison de Pierre et celle de Judas, ce dernier n’ayant pas cru à la miséricorde divine (p. 81), mais aussi les lettres de saint Paul, que l’auteur appelle l’apôtre de la miséricorde. « »Je ferai miséricorde à qui je veux faire miséricorde et je prendrai pitié de qui je veux prendre pitié« Cela ne dépend donc pas de la volonté ni des efforts de l’homme, mais de la miséricorde de Dieu » (Rm 9, 15-16, cité p. 100).
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Très complet et fort passionnant (même si un peu plus difficile à lire) le livre du cardinal Walter Kasper La Miséricorde Notion fondamentale et l’Evangile, Clé de la vie chrétienne, éd. des Béatitudes, 2016 (rééd.), 20 €.
C’est le pape François lui-même qui a recommandé la lecture de cet ouvrage lors de son premier angélus !
Le Cardinal allemand revisite ici toute la théologie à la lumière de la miséricorde, notion trop oubliée au cours de ces derniers siècles. En effet, elle a été la grande absente de la théologie, notamment des attributs de Dieu, absente aussi de la métaphysique. Certes, ce ne sont que de grands coups de pinceaux, mais le résultat est non seulement très intéressant mais aussi très beau (on fera gré, ici, à l’auteur de ces déclarations fracassantes lors du synode de la famille).
Ainsi, a-t-il su anticiper tous les livres ici présentés sur la miséricorde. Le Dieu des penseurs et des philosophes, la métaphysique, les Ecritures, la théologie fondamentale et morale, les oeuvres de miséricorde, la doctrine sociale de l’Eglise, Marie, tout y passe… et même le droit canon.
Quel est le sens de la vie face à la souffrance des innocents ? Beaucoup de philosophes ont préféré proclamer la mort de Dieu. Mais cela n’a pas résolu la question, bien au contraire… Pourquoi je vis ? Quel sens à la vie ? Pourquoi la souffrance ? Un Dieu froid et apathique ne répond pas à ces questions essentielles. Un Dieu mort assure de l’absurdité totale de la vie car, elle devient absolument relative. Une seule réponse attend le monde assoiffé et notre âme elle-même : la miséricorde !
« A toi la reconnaissance, à toi la gloire, ô source de la miséricorde ! Je devenais de plus en plus misérable et c’est alors que tu te rapprochais de moi » (St Augustin). « Que se taise la louange de celui qui n’a pas d’abords contemplé les manifestations de la miséricorde de Dieu » (idem, cité p 13).
Kant, Nietsche, Hegel, Levinas, Ricoeur, etc. tous ont abordé de près ou de loin la miséricorde, en cherchant une réponse. Jean XXIII et Jean-Paul II ont été ensuite les deux grands papes de la miséricorde.
Vient ensuite l’incontournable chapitre sur la Miséricorde et le dialogue inter religieux, avec notamment avec l’Islam, qui proclame un Dieu miséricordieux.
Mais les développement sont plus conséquents sur miséricorde et Ancien testament, avec ce passage clef : « Mon coeur se retourne contre moi. Car je suis Dieu et non pas homme, homme, milieu de toi je suis le Saint, et je ne reviendrai pas avec fureur » (Os. 11, 8-9, cité pp. 57-58).
Et Walter Kasper de commenter : « … l’être de Dieu se révèle dans sa miséricorde qui est l’expression de son être divin. Arrivés à ce point, le plus bouleversant, nous sommes obligés de reconnaître que Dieu n’est pas un Dieu de colère et de justice -pas même dans l’Ancien Testament- mais qu’Il est un Dieu de miséricorde. (…) La souveraineté de Dieu se montre avant tout dans le pardon des péchés. Ne peut pardonner que celui qui est au-dessus -et non pas au-dessous- des exigences de la pure justice et peut donc remettre une juste punition et permettre un niveau départ. Seul, Dieu peut pardonner » (p.58).
Miséricorde, fidélité, sainteté, justice… tous vont de pair et ne s’opposent pas. « … Il faut considérer dans toute son ampleur la détresse non seulement sociale, mais aussi métaphysique dans laquelle nous nous trouvons à cause du péché -c’est à dire combien nous sommes éloignés de Dieu et du salut. Selon la conception biblique, le pécheur à cause de son péché encourt la peine de mort et mérite la mort ; elle est le salaire du péché (Rm 6, 23) (…) Dans sa miséricorde Dieu veut satisfaire aussi à la justice. C’est pourquoi Jésus prend librement sur lui tous les péchés, il se fait même péchés (2 Co 5, 21) » p. 79.
Après sa relation avec la justice, vient celle avec la toute puissance de Dieu, question fondamentale après Auschwitz. Bref, « Cette liste invite à ne as reléguer la miséricorde en annexe, mais à la placer au centre et à regrouper les autres attributs divins autour d’elle » (p. 95). On comprend alors le livre qui suit.
Voilà un livre qui intéressera tous ceux qui veulent approfondir intellectuellement le concept de miséricorde, à un niveau proprement universitaire. Car, l’auteur après nous avoir rappelé que la miséricorde fut trop oubliée, après avoir relu les grandes religions citées dans Nostra aetate à la lumière de la miséricorde, après avoir explicité ses liens avec la justice, la vérité etc., souhaite en faire le paradigme d’une approche théologique nouvelle. Ainsi va-t-il s’intéresser aux travaux du théologien Hans Urs von Balthasar commentant les recherches du philosophe juif Martin Buber (lequel critique en particulier les excès pauliens). Comprenne qui pourra !
L’accomplissement humain, comme humanisation par unification personnelle dans l’assomption de la justice en la miséricorde, est possible dans la mesure d’un perfectionnement dan la miséricorde, qui lui-même tend à la sainteté de Dieu. Si l’homme est à l’image d’ELoHim, il peut grandir vers la ressemblance de YHWH (le katos de Luc), pour devenir miséricordieux comme lui. Jésus de Nazareth est justement cet homme unifié" (pp. 158-159).
Un dernier mot, en ce temps de conversion, et comme le rappelle le Pape constamment, pour profiter de la miséricorde de Dieu, s’y immerger, une seule condition est nécessaire : se reconnaître pécheur, demander à Dieu son aide, encore et toujours…